La création du monde par Sasaki Kyoshitsu
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Sasaki pendant la dernière cuisson à Shoraku |
Il y a de cela quelques semaines, j’avais demandé à Sasaki-sensei de faire deux bols. Le premier devait être pour son usage personnel, le second pour lui et sa famille. Aucun d’entre eux ne devrait être destiné à la vente.
Qu’a-t-il compris de ce que je lui ai demandé ? Je ne le sais pas. Toujours est-il qu’il commença à faire sous mes yeux quatre bols. Il m’expliqua plus tard que c’était pour minimiser les risques de casse, mais chaque bol était différent. L’un des bols fait par Sasaki-sensei pour lui-même me servira ici de conclusion « céramique ».
le style du maître
Sasaki-sensei est un homme jovial et doux, bon vivant et amoureux des couleurs claires. Il aime les émaux vert brillant, les chaussures d’un blanc craie et les bar à tapas japonais où le saké coule à flot. Un bol raku noir ne semble pas vraiment correspondre à sa personnalité.
Ses créations personnelles le laisse bien transparaître : elles altèrent entre noir/rouges classiques et tentatives colorées.
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Bols de Sasaki |
Avant notre dernière cuisson, le bol qui incarnait le mieux sa personnalité était celui qu’il nommait « Voie lactée ». Un bol raku noir, ouvert et bas — fait pour la saison estival. D’apparence classique, il était traversé par une étroite coulée de couleur et d’or. Je me disais que, derrière l’ombre du noir cosmique, Sasaki-sensei essayait de trouver sa propre voie/voix. Les fragments d’or ne sont-ils pas un moyen de se déclarer ouvertement amoureux de la lumière ?
La joie du maître
Et puis il y eut ce bol.
Sous une généreuse coulée de lave se découvre, dans le bouillonnement de la terre, la première ébauche de vie et de ciel dilués. C’est une heureuse et cacophonique naissance du monde. Un concerto volcanique à la texture douce. À cela, Sasaki-sensei ajoute sa trainée d’or, celle de son sourire, celle que le ciel verse en permanence sur son atelier. Pour la première fois je vois, au delà de son génie et de sa maîtrise technique, la joie de mon maître transparaître dans son oeuvre.
Alors que je regardais le bol encore chaud au sortir du four, j’ai dit « c’est superbe », il a dit « oui. Je te l’offre ». J’ai dit « non, ce n’est vraiment pas possible ». Il a insisté.
Le maître apprenti
Ce bol est d’une valeur inestimable. Pas seulement sur un plan monétaire mais sur un plan affectif. En me l’offrant, j’espère que Sasaki-sensei sait qu’il en fera d’autres, encore plus beau. Mais il me donne aussi un témoin de sa propre maturation. Il n'y a vraiment pas d'âge pour progresser.
Ai-je moi-même grandi pendant ce voyage ? Je ne le sais pas. Ce bol m’y contraint. Je ne me sens pas aujourd’hui la sagesse suffisante pour l’utiliser moi-même. Il me faudra grandir à ses côtés.
Après la dernière cuisson de nos pièces, Sasaki-sensei et moi-même avons partagé une dernière cérémonie du thé. Il m’a servi le thé dans ce bol. L’or jouait avec la lumière comme à son habitude : en trahissant toutes les attentes. Le thé était brûlant. Sans doute que le feu n’était pas encore totalement éteint dans l’argile.
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