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Parfum de Japon

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Melodie de bois Je me souviens encore mon premier voyage à Kyoto. C’était un mois de juillet. Un jour, alors que quelques pluies éparses balayaient les arbres et rafraichissaient l’air, j’entrais dans l’enceinte du Nanzenji, un célèbre temple de Kyoto  La grande porte aux piliers de bois noircis exhalait un parfum proche de l’encens et de la mousse des forêts. Une note de tête pétillante et émue qui emplissait du nez au cil comme des larmes de bonheur. Puis une vague terreuse, la note de cœur, fraîche et légère comme une brise parmi les chênes. Et enfin, pour la note de fond, cette profonde expiration du bois tranché, note grave et riche, râpeuse sur le palais, caressante pour le nez.  Je n’ai jamais oublié ce parfum du Nanzenji. Pour moi, il caractérise le Japon central. Je crois en avoir souvent parlé ici, il me fallait bien, un jour, lui rendre parfaitement hommage. Incomplète histoire du parfum Tanizaki disait de l’esthétique japonaise qu’elle joue sur l

La terre parle

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Harmonium de feuilles En arrivant dans un pays, je remarque toujours la végétation. Il y a la luxuriante végétation thaïlandaise qui inonde les moindres craquelures de Bangkok, végétation au teint sombre et humide, reposée dans sa confortable et increvable puissance. Et puis il y a la végétation écossaise, brisée comme de la foudre, aux reflets gris de roc, aux bois obscures et aux feuillages crochus.   Je connaissais le Japon central, la douceur de ses montagnes aux formes soyeuses et aux feuillages duveteux. En arrivant en Corée, les variations de couleurs se firent immédiatement plus chaotiques. Ce n’était plus la délicate patte d’encre diluée dans l’eau des typhons mais une immense fresque dessinée au pinceau sec, des couleurs pastels tracées par traits vifs. Deux pays si proches étaient si différents. Accompagné de ces quelques premières remarques, je notais que les bois de construction en Corée sont bien plus clairs que les bois Japonais mais qu’ils ont bien

Velasquez au Japon

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L'Espagne : expression muette Madrid, 1736. Il faut imaginer l’Espagne puritaine qui resta fidèle au Pape mais rêve de grandes conquêtes, qui interdit les peintures de nus mais possède plus de tableaux dans   ses boudoirs qu’aucun autre Royaume de l’époque. En réalité, elle est parcourue d’un vent de renouveau. Mais il n’est pas possible d’être explicite. Les artistes qui se voient comme des « créateurs » plutôt que simples exécutants, ne peuvent exprimer ouvertement leur désir d’expression. Aussi, la parole prend des chemins de traverses. Et Velasquez, avec une attitude taquine et raffinée, a peint bien des exemples de ce discours indirect. Ainsi, le tableau représentant son vieil ami sculpteur Juan Martínez Montañés n’a pas le temps d’être fini. Le buste du roi que l’artiste prépare n’est qu’une esquisse. In-finir l'esquisse Imaginons pour nous-même cette théorie folle :   le tableau n’a volontairement pas été fini. Le buste n’est pas

Esthétiques et politiques

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L’homme de thé l’apprend vite : un vase au long col de grès noir impose une présence bien différente qu’un simple bambou ouvert et rafraichissant. Pourquoi organiser une salle presque vide ? Simplement pour laisser plus de place à l’imagination ? Tout objet occupe l’esprit. Les puissants de ce monde, eux, l’ont toujours compris, d’une manière ou d’une autre. Le « beau » est une sensibilité qui varie avec les cultures et les modes. Changer notre conception du beau, de l’agréable, c’est changer notre approche du monde. Esthétique est politique L’époque Momoyama, sorte de Renaissance japonaise consommée en une petite quinzaine d’année est connue aujourd’hui comme le « règne » esthétique de Sen no Rikyu. L'homme qui voulait que chacun se courbe en entrant dans un pavillon mettait à l'honneur la modestie des biens, les couleurs sombres et la simplicité rustique. Certains disent que Hideyoshi Toyotomi, le grand seigneur de l’époque, soutint Rikyu dans sa dém

Mujuan : Le ré-usage du monde

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Ce que nous laissons derrière nous Les écorces tombées, les troncs morts, les murs délabrés et les sacs perdus jonchent l’île de Awaji. En venant ici, on m’a mis dans les main les clés de Mujuan , un pavillon de thé aussi abandonné que l’île. Le tremblement de terre de 1995 a aussi sérieusement ébranlé les deux salles et l’immense jardin. Un jeune débutant comme moi ne devrait pas prétendre ouvrir son propre pavillon, mais quel maître irait s’installer dans la demeure d’un autre, qui plus est, une demeure abandonnée ? Auguste Comte disait que « les morts gouvernent les vivants ». Ils sont la cause de notre naissance, notre monde est le résultat de leurs actes. Nous naissons dans des ruines — palais et forêts qui sont le fruit de la volonté de nos ancêtre. Quelqu’un d’autre a fait pousser ce que nous récoltons aujourd’hui. Pourtant nous aimons le neuf. Nous aimons qu’un objet ait été fait pour nous. Nous aimons en être le premier possesseur, le seul destinataire.  

En préparation

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Focus La nuque se redresse, les paupières se rapprochent, les yeux se referment sur un point invisible. C’est le bol à venir. Le dos se redresse, la colonne s’aligne, les bras se détendent et le pas se fait droit. Le chemin vers le pavillon se dessine.   Lorsqu’un grand évènement approche, ces sensations peuvent arriver plusieurs semaines en avance. Tout mon corps se tend. Il n’y a ni lieu pour la confiance, ni lieu pour le doute. La confiance est ennemi de la perfection, le doute est ennemi de l’action.   Tout ce qu’il reste à faire, c’est bander l’arc, le regard rivé sur la cible. Trop de tension et la flèche partira avant que ne commence le jeu. Pas assez et la main tremblera autant qu’une aiguille. Une cérémonie est affaire de saison. Quel plaisir trouver aux fraises si elles sont là même en été ? Accepter que les saisons passent, que des plaisirs différents nous viennent au cours de l’année, c’est un premier pas pour accepter notre condition mortel. À mon

Trois histoires de thé (3) — La dignité du marchand

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Les récits que je propose ici n’ont rien d’historique. Ce sont surtout des légendes décorées par mon imagination. Comme tout ce qui appartient au passé rêvé, elles ont pour elles la véracité qu’on leur donnera. Mais il est parfois si agréable que l’histoire puisse être vraie qu’il importe peu qu’elle le soit vraiment. Il est dit que dans le Japon des seigneurs de guerre, les marchands allaient de par la Chine et l’Inde pour ramener à leur maître armes et oeuvres. Leur seul rétribution était un peu d’or et beaucoup de mépris. Mais un jour, un commerçant qui était versé dans le Zen et le thé voulut recevoir le respect qui lui était dû. À cette fin, il fit construire un pavillon de thé bien particulier.   Lorsqu’un seigneur arrivait, il était accueilli par un jardin dénué de splendeur. Au fond, une petite construction l’attendait, chétive et rustique. À l’entrée, il lui était demandé de poser son sabre et de pénétrer par une petite porte carré où nul ne pouvait passer s

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