Parfum de Japon
Melodie de bois
Je me souviens encore mon premier voyage à Kyoto. C’était un mois de juillet. Un jour, alors que quelques pluies éparses balayaient les arbres et rafraichissaient l’air, j’entrais dans l’enceinte du Nanzenji, un célèbre temple de Kyoto
La grande porte aux piliers de bois noircis exhalait un parfum proche de l’encens et de la mousse des forêts. Une note de tête pétillante et émue qui emplissait du nez au cil comme des larmes de bonheur. Puis une vague terreuse, la note de cœur, fraîche et légère comme une brise parmi les chênes. Et enfin, pour la note de fond, cette profonde expiration du bois tranché, note grave et riche, râpeuse sur le palais, caressante pour le nez.
Je n’ai jamais oublié ce parfum du Nanzenji. Pour moi, il caractérise le Japon central. Je crois en avoir souvent parlé ici, il me fallait bien, un jour, lui rendre parfaitement hommage.
Incomplète histoire du parfum
Tanizaki disait de l’esthétique japonaise qu’elle joue sur l’ombre et la lumière pour suggérer bien plus que pour montrer. Je n’ai jamais lu quoi que ce soit sur les parfums du Japon. Pourtant, plus encore que l’ombre, ils ont leur façon délicate d’inspirer et de suggérer.
Tout au plus ai-je lu dans Kawabata que « les parfums qui viennent d’Occident évoquent fortement le monde ». Et cela est vrai. Sans doute parce que l’art du parfum européen avait pour medium le corps. C’est pour décorer la chaire, en voiler les imperfections et la magnifier, que le parfum européen a vu le jour. C’est un art qui travaille sur l’aura humaine et non sur celle des lieux comme l’encens.
Au Japon et en particulier dans une cérémonie du thé, il est fort peu apprécié de se parfumer. C’est un signe d’égocentrisme, d’abord, mais c’est aussi la cause de modifications dans le goût du thé et l’odeur de l’encens. Évidemment, il inhibe aussi, pour soi ou pour les autres invités, la délicatesse des parfums du jardin et des mets. Porter un parfum sur soi, c’est être l’œuvre et refuser ce statut aux œuvres qui nous entourent.
Souvenir d'argile
Il y a de cela quelques semaines, j’ai eu le plaisir de servir le thé dans un bol fait par Sasaki-sensei. Au premier contacte de l’eau chaude, l’émail s’est réveillé et j’ai senti monter vers moi l’odeur si caractéristique des bols de mon maître, la douceur camphrée et un peu piquante d’une terre brûlée. Les bols de Sasaki-sensei réagissent tous à l’eau avec ce même feu intérieur.
Ce parfum me rappela ma chambre de Paris où j’ai si souvent rencontré cette fumée dans le bol que mon maître m’a offert. Je ne pus m’empêcher d’esquisser un sourire en retrouvant un vieil ami, un flot de souvenirs et une maison dans l’éther du parfum.
Quelques jours plus tard, je revoyais Sasaki-sensei qui m’offrit le thé dans un bol fait par son grand-père. Il s’excusa de l’odeur de moisissure du bol qu’il disait fort désagréable. C’est vrai que ce bol avait une odeur très forte et différente des œuvres de l’héritier actuel. Je bu le matcha au goût transformé. Si elle gênait sans doute par son manque de discrétion, cette odeur m’était cependant très agréable. Enfin, quand j’eus fini et que les restes de thé eurent séché, je replongeais le nez dans le bol et je crus reconnaître. Le bol avait l’odeur de la grande porte aux piliers de bois noircis du Nanzenji.
Commentaires
Enregistrer un commentaire