Habiter et partir


Rendre hommage au lieu

Cela fait presque deux ans que j’ai commencé à étudier la cérémonie du thé. Plus qu’une étude, c’est devenu une question pratique, esthétique et même éthique. J’ai commencé à pratiquer le thé dans le pavillon de mon maître mais aussi un peu partout et sans matériel : dans le métro, dans un park à Omotesando et même au sommet d’un temple d’Ayutthaya en Thaïlande.

L'une des toutes premières versions du pavillon
Rapidement, ma chambre parisienne s’est vidée de tout le superflu. J’ai installé des nattes au sol puis des tatamis. Une planche m’a servi de tokonoma (d’alcôve), quelques autres cachent des prises. J’ai eu le loisir de penser chaque détail. 





J’aimerais ici rendre hommage à ce lieu.

Cette chambre où j’ai grandi et où je ne me suis jamais vraiment senti chez moi, j’ai essayé d’en faire mon espace, celui dans lequel je pourrais accueillir mes amis comme je souhaiterais qu’ils m’accueillent. Aucun lieu sans doute ne m’a autant permis de questioner ce que signifie « habiter ».


Sur le pas d’une porte

Un lieu peut être une prison ou un stade. Une petite mansarde est un cachette ou une cage. On peut faire danser les murs d’un hôtel particulier où se perdre dans ses courants d’airs. Dans chacun de ces lieux, les limites de notre corps sont interrogées. Et quand un lieu nous devient suffisamment familier, les objets commencent à se confondre avec nos mains, l’esprit vaque en lui-même quand il se promène sur les murs, l’air s’accoutume à notre odeur, notre haleine, nos habitudes.


Un lieu habité trop longtemps fini par disparaître et, comme certains amours, il s’estompe dans un quotidien invisible et lassé. Habiter un lieu sans l’oublier requiert un effort de présence et d’amour, un soin tout particulier pour ce qui nous entoure et qui, finalement, est un soin de nous-même. Certains n’osent  pas regarder leur corps se transformer avec l’âge, d’autres refusent à leur habitat l’entretien qu’il nécessite.


Il faut aussi parfois abandonner. J’ai vécu près de seize ans dans cette chambre. Elle a vu mes posters de rocks et mes calligraphies japonaises.





Le thé, le thé, toujours recommencer




Ici,  j’ai fait le thé le matin pour une amie partant à la messe, le midi avec la musique pop d’un spectacle de rue sous mes fenêtres et le soir aux bougies pendant que la foule de la Nuit Blanche se déversait dans le quartier. Sa chaleur en hivers, ses bains de soleil l’été, la rondeur de ses ombres en automne et ses timides soliflores de printemps : voilà ce que je laisse derrière moi. Sans beaucoup de regret, à vrai dire.

Je pars pour un an sur l’île d’Awaji et j’ai déjà vendu mes tatamis.

Les prochains pavillons m’attendent. Dans la rue, dans les lieux où je dors et où je vie. Ces derniers temps, je n’aimais plus trop réinstaller mon lit dans ma chambre. Peut-être que, déjà, j’ai laissé derrière moi ce lit et qu’il ne reste plus à fermer que le pavillon. Savoir habiter et savoir laisser, voilà souvent ce qui nous fait défaut lorsque la peur de l’avenir nous effleure.







Mes trois vieilles planches étaient de loin mon détail esthétique préféré...et un bon moyen de cacher une prise électrique...


Un immense remerciement à Francis, l'extraordinaire photographe à l'origine du site Blackroom7 et de nombreuses expositions en France et au Japon, qui a bien voulu venir prendre le thé et quelques photos chez moi. Cet article lui doit beaucoup.

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