Une vieille leçon de détente…




Camellia sinensis traumans — Le thé qui fait peur


La cérémonie du thé a aujourd’hui l’image d’un art traditionnel guindé, stressant, hautain et bouffis de tant de règles qu’un empereur ne saurait s’y tenir…bref : c’est un art de snob.

Pour cette raison et pour quelques autres, c’est aussi devenu un art de vieux. L’autre jour, je rencontrai une jeune australo-japonaise. Quand je lui ai dit que je pratiquais le thé, elle m’a répondu avec un air un peu narquois : « ma grand-mère [japonaise] adorerait ça ». Ou encore : je me souviens avoir demandé à des élèves expérimentés de mon école au Japon ce qu’ils ressentaient quand ils faisaient une cérémonie. Ils m’ont répondu : « de la peur ».

On abuse rarement de thé...mais on abuse parfois à son propos

J’ai déjà dit précédemment que la multiplication des règles dans la cérémonie du thé l’avait certainement rendue plus belle. Mais elle l’a aussi rendue plus anxiogène. Et il n’en a pas toujours été ainsi.

Dernièrement, j’ai consulté des clichés de cérémonie du thé pris au début du XXème siècle au Japon. Pour des questions de droit je ne peux pas les reproduire ici mais vous pouvez les regarder grâces aux liens. (à la place : stock photo  'fait maison' pour vous détendre les yeux)

La morsure du mec peinard


Observons ce premier cliché : une jeune fille prépare le thé pour une femme. L’arrangement floral n’est pas dans une alcôve mais à même le tatami et une étagère décorative est posée de façon oblique. Ces deux détails sont déjà pour le moins étranges au pays des séparations symboliques et des lignes droites. Mais observons encore la position des deux femmes : toutes deux « mordent » sur le rebord du tatami. 

« Sacrilège ! » s’écrieront les puristes modernes. De même que les gens atteints de TOC (trouble obsessionnels compulsifs) ne supportent pas de marcher sur les lignes du trottoir, les hommes de thé aiment quand les genoux et les objets sont bien rangés dans leur boîte.

On pourrait penser que cette photo est simplement maladroite. Et effectivement ce n’est sans doute qu’une mise en scène. D'après mes sources, les photographes de l'époque ne s'y connaissaient pas trop et employaient des personnes de petite condition pour prendre la pause... Et sur chaque photo de ce site (ainsi que de nombreuses trouvées ailleurs) la même morsure  aux règles apparaît.

Bouddha a un peu brisé la règle du 'no logo'...mais au moins il a chaud

Ici, les invités mordent et la marmite (kama) est posée sur un petit tatami de travers.


Là, le thé est même préparé sur la bordure des tatamis (qui semblent avoir été retouché par ailleurs).


Certes, tout cela ne reflète pas la réalité du thé de l'époque. Mais ces quelques photos me rappellent que le thé est avant tout un moyen de se rencontrer et, peut-être, de se détendre.

Qu’on ne s’y méprenne pas : mon côté TOC savoure l’ordre et voir un genou qui mord me met, pour ainsi dire, hors de mes tatamis. 

« Raku », le plaisir avant tout


Dans ce monde qui vieillit trop vite, où l’on veut souvent nous faire croire que le bonheur se mérite, il nous faut parfois retrouver le sens des pratiques les plus simples. Pourquoi travaillons-nous, pourquoi nettoyons-nous notre lieu de vie, pourquoi obéissons-nous aux règles? Il n’y aucune raison de suivre les règles du thé si cela ruine le moral. Nous ne sommes pas Sisyphe : il y a une raison de pousser le boulet ! (qui n’en est pas un dès qu’on l’a compris)

Cool, relax, détendez-vous.

Lorsque nous commençons une cérémonie du thé, nous disons à l’invité « Ô raku ni dôzo ».

Raku signifie « agréable, plaisant », mais c’est aussi le caractère qui, avec celui du « son », signifie « musique ». Il a à voir avec l’harmonie, la facilité, le confort. J’ai décidé de le traduire « soyons simple » mais sa signification plus littérale serait : « je vous en prie, mettez-vous à l’aise ».

Alors, quand bien même ces photos sont "fausses", je souhaiterais simplement dire à mes invités : "mordrez, chers amis, si cela vous est plus agréable."

ô raku ni dôzo,

Soyons simple !

Commentaires

Partagez si vous aimez !

Posts les plus consultés de ce blog

La création du monde par Sasaki Kyoshitsu

L’amateur de Chawan #2 : La céramique et sa chaire

Parfum de Japon