Trois histoires de thé (3) — La dignité du marchand
Les récits que je propose ici n’ont rien d’historique. Ce sont surtout des légendes décorées par mon imagination. Comme tout ce qui appartient au passé rêvé, elles ont pour elles la véracité qu’on leur donnera. Mais il est parfois si agréable que l’histoire puisse être vraie qu’il importe peu qu’elle le soit vraiment.
Il est dit que dans le Japon des seigneurs de guerre, les marchands allaient de par la Chine et l’Inde pour ramener à leur maître armes et oeuvres. Leur seul rétribution était un peu d’or et beaucoup de mépris. Mais un jour, un commerçant qui était versé dans le Zen et le thé voulut recevoir le respect qui lui était dû. À cette fin, il fit construire un pavillon de thé bien particulier.
Lorsqu’un seigneur arrivait, il était accueilli par un jardin dénué de splendeur. Au fond, une petite construction l’attendait, chétive et rustique. À l’entrée, il lui était demandé de poser son sabre et de pénétrer par une petite porte carré où nul ne pouvait passer sans se courber. Ainsi il se sentait dénudé de tout ce qui faisait son titre et sa gloire. Même la fleur dans l’alcove prenait un air imposant et le seigneur, désarmé, serrait un peu les jambes.
Alors entrait le marchand qui se mettait à servir le même thé que les moines. Avec discrétion, les deux hommes échangeaient brièvement sur la nature de leur commerce puis le seigneur saluait et repartait prendre son titre. En se courbant par la petite porte pour prendre ses sandales, il jetait un oeil sur son sabre et le trouvait bien inutile. La nature qui l’entourait était si impassible à ses regards qu’il en était humilié. Rien n’avait nourris son âme de guerrier sinon le thé bu et la promesse des marchandises. Et pourtant, une sensation agréable le traversait. Une sensation de simplicité. ’Décidément, se disait-il alors, il faudra bien s’attirer les faveurs de ce marchand qui se fait appeler Sen no Rikyu’.
De là vient, m’a-t-on dit, la cérémonie du thé japonaise.
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