La Voie du thé
La cérémonie du thé sous quelques coutures...
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Servir le thé...c'est toute une histoire ! |
Aussi étrange que cela puisse paraître, je ne vais pas beaucoup mentionner ce qui se passe « pendant » une cérémonie du thé, sauf dans le paragraphe qui suit. En effet, il y a une telle variété de mouvements et de "cérémonies" différents qu'il vaut mieux que je laisse mes lecteurs en faire l'expérience par eux-mêmes. Une seule chose ne change pas dans les différentes cérémonies : le thé utilisé est une poudre de thé vert appelée matcha.
Qu’est-ce qu’une « cérémonie du thé » ? Décrite le plus sommairement possible, il s’agit d’un évènement organisé par un hôte dans un lieu adéquat ou non avec des invités généralement préparés pour l’occasion. Un certain nombre de codes régissent le comportement de l’hôte et sa façon de servir le thé (voire de servir les plats) et tout autant de codes régissent le bon comportement des invités. Pourquoi y a-t-il tous ces codes ? Certains diraient que c'est pour rendre la cérémonie "plus belle", d'autres que c'est en sachant ce qu'on fait que l'on peut entrer dans une "méditation en action". Mais ce ne sont là que deux réponses parmi tant d'autres.
Le motif d’une cérémonie du thé sont tout aussi variables que n’importe quelle pratique sociale : pour un évènement public ou privé comme le nouvel an ou un anniversaire, par envie de se voir ou d’avoir une conversation sérieuse ou encore par désir d'obtenir un certain statut social — ce ne sont là que des exemples. L’atmosphère de la cérémonie du thé doit être accordée à l’occasion par l’hôte.
Le motif d’une cérémonie du thé sont tout aussi variables que n’importe quelle pratique sociale : pour un évènement public ou privé comme le nouvel an ou un anniversaire, par envie de se voir ou d’avoir une conversation sérieuse ou encore par désir d'obtenir un certain statut social — ce ne sont là que des exemples. L’atmosphère de la cérémonie du thé doit être accordée à l’occasion par l’hôte.
Du déroulement de la cérémonie même, on peut dire qu’une cérémonie est généralement un moment de calme voire de méditation et qu’elle requiert surtout un savoir-faire en matière de préparation . L’hôte comme les invités doivent savoir à l’avance ce qu’ils sont supposés faire afin que la rencontre puisse se passer avec fluidité, sans accroc ni moment embarrassant.
Dans le cas des cérémonies impliquant des personnes ne pratiquant pas le thé, l’hôte doit simplement prendre cette donnée en considération. Si vous êtes un invité dans ce cas de figure, ne vous inquiétez pas : faites de votre mieux et ce sera bien suffisant.
La cérémonie du thé a pour nom japonais Sado (茶道). Sado devrait se traduire par la Voie du thé. et « Voie » doit ici être entendu au sens fort que les asiatiques donnent à ce terme : comme un chemin pour guider sa propre vie. C’est un point sur lequel je reviendrais ailleurs. La cérémonie du thé est également appelée chanoyu (茶の湯), ce qui signifie « eau chaude du thé ». Les explications de cette seconde dénomination sont nombreuses et je ne me risquerais à en mentionner une : ce nom rappelle que le thé n’est bien, simplement, que l’action de servir le thé. Nous voilà déjà avec un nom mégalomane et un nom humble. En vérité, les ennuis ne font que commencer.
Présenter la cérémonie du thé aujourd’hui de manière à faire consensus est assez difficile tant le sujet est sensible parmi les « praticiens ». Cela tient notamment au fait que les informations contradictoires sont légions. De fait, la plupart des praticiens et historiens s’entendent très vaguement sur la chronologie et les bases de la cérémonie. Mais tout ce qui concerne l’esprit avec lequel cette dernière doit être menée et les interprétations à donner aux innombrables légendes et récits qui l’accompagnent est sujet à un débat d’apparence très courtois.
Bref, je m’en tiendrais à ce que j’ai cru comprendre de mes diverses lectures et conversations et à ce qui pourra intéresser mes lecteurs. Je n’ai aucune prétention à présenter ici la seule et unique vérité sur ce qu’est (ou devrait être) la Voie du thé.
Histoire du thé : Sen no Rikyu, fondateur du thé moderne.
Il existe presque autant d’histoires de la cérémonie du thé qu’il existe de maître du thé. La grande majorité de ce qui est dit sur le thé se transmet à l’orale. Aussi peut-on entendre parler d’origines chinoises comme de racines bushi (comprendre « guerrières ») en passant par des ancêtres plus où moins mondains ou religieux. Et, à ma connaissance, aucune de ces histoires n’est fausse. Il y a bien eu une pratique « mondaine » du thé au Japon qui consistait à se réunir pour déguster du matcha et exhiber des pièces rares. Et il y avait bien une pratique monastique du thé qui consistait à en boire pour se galvaniser durant les longues méditations. Ces deux pratiques du thé, mondaine et méditative, sont je crois toute deux à l’origine de la pratique actuelle du thé. Et c’est souvent dans un conflit entre ces deux pôles (plaisir de la rencontre et recherche d'un statut social vs. appréciation spirituelle de l'art et intensité de la méditation) que se joue les différentes pratiques du thé.
Sur l’origine du thé moderne, une seule chose est certaine dans tout cela: le thé a connu un tournant majeur avec le marchand fait maître de thé Sen no Rikyu (1522-1591).
Mes lectures me font penser que Rikyu est très loin d’avoir « inventé » la cérémonie du thé. Il est plutôt, comme Luther du thé, un immense réformateur. On pourrait aussi dire que c’est un Mozart du thé après qui le silence n’a plus jamais eu le même sens. Avant Rikyu, il existait déjà de nombreuses pratiques du thé parmi les classes guerrières, monacales et aristocratiques et des personnalités comme Murata Jukô (1423–1502) et Takeno Jôô (1502-1555) avait déjà considérablement transformé ces pratiques.
D’après ce que j’ai pu lire, la « révolution » Rikyu vient du fait qu’il crée un consensus massif autour d’un changement radical de pratique, agrégeant pour un temps divers éléments des nombreuses formes du thé (mondaines comme religieuses) dans une mouvance unique. Il fut pour cela fortement aidé par le Shogun Hideyoshi Toyotomi (1537-1598) qui, en grand amateur de a Voie du thé, a probablement contraint ou, du moins, fortement promu sa pratique dans toutes les classes sociales. Mais il est préférable de noter que dès l’époque de Rikyu de nombreux maître de thé venaient déjà greffer leurs propres préférences esthétiques sur la pratique du Maître.
Puis ce fut l’époque des écoles. Le petit fils de Rikyu, Sen Sôtan (1578–1658), eut trois enfants qui fondèrent les premières grandes écoles de thé : Omote-senke, Ura-senke et Mushanokoji-senke. À côté de ces trois écoles, les élèves de Sotan ainsi que les amis de Rikyu bâtirent également leurs propres écoles. On compte aujourd’hui près d’une soixantaine d’écoles dont trois largement majoritaires (les trois écoles senke).
L’histoire des écoles et des pratiques du thé continue jusqu’à nos jours. Il serait impossible de compter les anecdotes et les légendes qui accompagnent la multitude de grands maîtres qui ont existé. Sur cette histoire, je renvois mes lecteurs à la littérature importante (et généralement partisane) qui existe sur le sujet en anglais et je m’attacherais ici à simplement parler de quelques caractéristiques du thé moderne à ses origines, c’est-à-dire au temps de Rikyu.
Quelques caractéristiques de la cérémonie du thé après Rikyu
Je ne prétendrais pas ici expliquer ce qui a fondamentalement changé avec Rikyu car aucun maître de thé ne s’entend sur ces questions. Je peux cependant noter plusieurs caractéristiques majeures du thé après Rikyu, sans prétendre qu’elles sont les marques essentielles de la Voie du Thé. Ces caractéristiques, j’en vois trois : l’éthique, la simplicité et l’esthétique personnelle.
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L'arrangement floral fait parti de la formation d'un maître de thé |
L’éthique. La Voie du thé moderne se présente autant comme une éthique que comme une pratique. En cela, elle est bien une « Voie » (Dô 道) au sens chinois et japonais du terme. Le chajin (ou « homme de thé ») adopte en permanence un certain comportement qui comprend le respect des objets et des personnes, l’attention au détail et l’amour de la nature. Il est à noter que le chajin n’est peut-être même pas praticien de la cérémonie elle-même. Comme le faisait remarquer Okakura Tenshin, on parle parfois de mucha no cha : « le thé sans le thé ». Cette expression renvoi au fait de se comporter en certaines occasions comme si on était en train de servir le thé…mais sans thé.
La simplicité. La Voie du thé appelle à servir le thé avec simplicité ou humilité. Quand à ce que ces termes signifient, c’est là une autre question. Par exemple, les cérémonies du thé impliquent toujours un certain dénuement esthétique : il ne faut pas charger trop la décoration, ne rien montrer de trop ostentatoire. Mais dans le même temps, le respect dû à l’invité implique l’usage de pièces rares et précieuses ainsi que des effets de surprises qui font du moment passé un évènement inoubliable. Difficile, donc, de savoir où placer le curseur. Les praticiens partisans de la « méditation par le thé » diront que les ustensiles n’ont presque aucune importance (ou qu’ils doivent, pour cette raison, être wabi, voir plus bas). Les praticiens plus mondains ne verront pas l’intérêt de servir un invité dans une vaisselle sans beauté ni atour.
L’esthétique personnelle. La cérémonie elle-même doit être pensée dans les moindres détails pour être un moment esthétique et agréable pour l’invité. Cela nécessite une grande attention à ses goûts évidemment, mais cela requiert aussi que l’hôte ait lui-même des goûts originaux et appréciables par l’invité. La pratique du thé moderne requiert donc de développer un sens esthétique personnel. Cependant la multiplication des règles qui a accompagné la prolifération des « écoles » fait qu’aujourd’hui de nombreux praticiens du thé ne considèrent pas que le développement de leur goût personnel soit une priorité : pour eux, il semblerait que seuls les grands maîtres ont droit à un avis.
Néanmoins, il est à noter que les élèves et amis de Rikyu se sont presque tous distingués par le développement de leur propre univers. Furuta Oribe est à ce titre bien connu pour avoir à lui seul presque inventé son propre style de céramique. Et si aujourd’hui il est considéré comme un grand maître (voire comme un demi-dieu), il fut lui-même un élève et n’attendis pas le consentement de son maître pour s’improviser esthète.
Cependant, l’histoire du thé a voulu que se crée au milieu du XVIIème siècle ces « écoles » qui ont rapidement canonisé les goûts de leurs fondateurs puis de leurs héritiers. Aujourd’hui, leur art est d’un raffinement tel qu’il ne faut généralement pas moins de 10 ans (dans une école honnête) pour obtenir le titre de maître de thé. Aussi, il ne faut pas sous-estimer l’importance de ces règles « rajoutées » qui, au fond, sont souvent des tentatives réussies d’approfondir la pratique, quitte à la rendre plus complexe pour les élèves.
Le concept de wabi-sabi et la cérémonie du thé moderne.
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Un bol fait par un amateur près de Saga. |
Il est vrai que Rikyu a souvent privilégié en privé des pièces dans ce style qui avait été mis en avant quelques dizaines d’année avant sa naissance par Murata Jukô.
Néanmoins, il ne faut pas oublier que, pour Rikyu lui-même, un bol wabi ne serait jamais aussi « formel » (comprendre « noble ») qu’un bol de Chine. On pourrait aussi rappeler que, alors même qu’il promouvait les oeuvres de la famille raku qui est aujourd’hui une référence de l’esthétique wabi, il dessinait dans le même temps un set de thé complet en or massif pour servir Hideyoshi Toyotomi et ses invités. Il construisit même le fameux pavillon portatif en or de son maître. Tout cela est bien loin de l’esthétique du cabanon de montagne que chérissent de nombreux praticiens du thé et se rapproche bien plus du thé mondain des aristorcrates.
Difficile donc de dire que l’esthétique wabi, popularisée par Rikyu, est au coeur même de la cérémonie du thé moderne. D’ailleurs, Les écoles de thé ont toujours eu pour règle que les bols chinois et la porcelaine de Chine (qu’ils soient wabi ou non) étaient les pièces les plus estimables. Le wabi est-il donc si important ?
Le thé aujourd’hui
L’univers du thé aujourd’hui connaît selon moi deux mouvances principales : les écoles et les freelances.
Les écoles du thé
La première mouvance, celle des écoles, est largement majoritaire au Japon et dans le monde. Devenues avec le temps à la fois les gardiennes et les faux-monnayeuses de la tradition de Rikyu, les écoles concentrent aujourd’hui un grand nombre de disciples même si, comme à chaque époque, tous les grands maîtres jurent que le thé se meurt. À chaque nouvelle génération l’école la plus importante est susceptible de changer selon le charisme de son Grand Maître (Iemoto). Aujourd’hui, l’école la plus importante est l’école Urasenke.
Néanmoins, on peut remarquer au sein même des écoles des pratiques très différentes du thé. Certains chajins restent très proche d’un esprit méditatif qui, parait-il plaisait à Rikyu en privé. Tandis que d’autres chajins s’attachent à retrouver les éléments plus mondains du thé qui, aux dernières nouvelles, représentaient la majeur partie de la pratique de cour de Rikyu.
Les freelances du thé
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Adam "Sômu" en train de faire le thé dans les massifs anglais. |
En parallèle des écoles se développe depuis quelques années une pratique du thé plus libre, en particulier hors du Japon. Menée par des personnes généralement salariées qui pratiquent le thé comme un hobby. Cette mouvance est à l’origine de nouvelles pratiques, souvent proches de la performance artistiques ou, du moins d’une cérémonie allégées de ses règles les plus lourdes et de sa sacralisation la plus pompeuse. Plus ou moins proches des écoles, ces praticiens ont généralement reçu une formation « classique » avant de se lancer dans leur propre composition.
On trouve de tout dans cet univers parallèle : du pavillon de thé sur bicyclette à la cérémonie « black metal » en passant par le pavillon improvisé en plein air ou dans les chambres à coucher, le thé servi aux inconnus ou proposé avec des pâtisseries marocaines — l’éventail des possibilités est infini.
Est-ce que ces pratiques nouvelles ont la même profondeur et la même qualité que celles des écoles ? La question se pose à chaque cérémonie et sa réponse reste à la discrétion de chacun. J’invite cependant les puristes à ne pas juger trop hâtivement ce qu’ils voient parfois comme un sacrilège voire une apostasie. Différent ne signifie pas « moins bien ».
Si vous souhaitez en savoir plus sur ces pratiques plus « libres », je vous invite à visiter quelques pages comme celle de Adam Sômu, ou celle de Alberto Moro. Il est à noter que ces deux praticiens font parti d’un même groupe, le World Tea Gathering, qui promeut ces pratiques « contemporaines ».
À propos de ma pratique
J’apprend le thé depuis bientôt deux ans auprès de Gilles Maucout, maître de thé de l’école Sohen Ryu Shoden An. En parallèle d’un apprentissage rigoureux des fondamentaux de la Voie du thé de « Maître Sôki », je pratique également dans ma chambre qui est devenu mon chashitsu (pavillon de thé) et en plein air, parfois avec des textiles pensés pour l’occasion, parfois en improvisant un peu. On peut dire que je suis « jeune » dans la pratique de la Voie du thé.
Comme j’ai essayé de le montrer dans cet article, j’ai un regard critique sur toutes les pratiques mais aussi un grand respect pour chacune d’elles. Ma voie est plutôt celle du wabi et de la méditation, mais je considère qu’il s’agit de mes préférences personnelles.
Si vous souhaitez rencontrer Gilles Maucout à Paris, vous pouvez prendre rendez-vous au magasin de thé Georges Cannon pour une cérémonie du thé dans un véritable pavillon en présence de mon maître qui vous servira le thé lui-même.
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Cérémonie dans ma "chambre chashitsu". |
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